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La farine...

Je crois en avoir fini avec les céréales (et l’oléagineux). Passons maintenant à la farine – Gros problèmes !!

Après la Libération (le 28 août 1944 pour mon village), comme il n’y avait pas assez de blé en France, par manque de semences, d’engrais, de circuits de distribution, le Gouvernement nous obligeait à incorporer du maïs américain. Nous le recevions par wagons. Il fallait l’écraser, mais le grain de maïs est plus dur que le grain de blé. Les cylindres n’arrivaient pas à le concasser aussi fin que le blé, si bien que le mélange des deux farines n’était pas homogène et le boulanger rouspétait, quand il recevait des sacs de ce mélange. De ce fait, nous n’aimions pas être obligés de prendre ce maïs, et je me souviens que M. HAMELIN, au moment de partir en vacances, m’avait dit : « Surtout, si on vous attribue du maïs, refusez-le ! » Et naturellement, c’est pendant son absence que l’ONIC a voulu nous envoyer trois wagons de maïs. J’ai refusé, prétextant qu’on en avait déjà de trop, que nous n’avions pas la place pour les stocker. Trois jours de suite ils sont revenus à la charge et en fin de compte, ils ont abandonné la partie.

Nous ne pouvions pas livrer le boulanger de notre choix, car l’ONIC gérait la pénurie, et parfois il nous envoyait livrer des boulangers dans la région de BEAUVAIS (200 km aller-retour), ce n’était pas rentable. Puis l’abondance est revenue au cours des années 1960/1970 et là, il y avait trop de farine sur le marché parce que trop de Moulins aussi. L’ONIC s’en est mêlé et a attribué un contingent à chaque moulin (un certain nombre de quintaux à ne pas dépasser). Mais nous avions la liberté de choisir nos boulangers, d’où déjà une certaine concurrence entre meuniers pour récupérer les boulangers les plus proches du Moulin, ou ceux qui panifiaient les plus grosses quantités. Nous livrions les boulangers autour de MAREUIL directement, mais dans la Région Parisienne et la banlieue, par l’intermédiaire de courtiers qui nous passaient les commandes (M. GOBERT – M. COHEN). J’avais souvent affaire à ce dernier au téléphone. Il ne venait jamais à MAREUIL et, un jour, au bout de 20 ou 25 ans, il est venu nous voir. J’étais surpris ! Il n’avait pas du tout le physique que je m’étais forgé dans mon imagination !!

En plus de tenir la comptabilité, le téléphone, taper à la machine, trier les échantillons de céréales à la moisson, je programmais aussi chaque matin et chaque après-midi, les livraisons de nos livreurs chez les boulangers de la région et de la banlieue (six ou huit en moyenne pour la journée) et avec la collecte de céréales qui augmentait chaque année, M. HAMELIN m’adjoignit une secrétaire, car j’étais débordé. Ce fut d’abord Mme SANCHEZ, puis, successivement, Yvette PIGOT et Bernadette HAMELIN (la fille du « Patron »). Délicat pour moi, pensez-vous peut-être ? Pas du tout, je ne me sentais pas espionné, mais au contraire, je me disais : « Et bien, comme çà, il verra que ce n’est pas le travail qui manque et que je ne perds pas mon temps ». Au mariage de Bernadette HAMELIN, en 1968, Denise COSSIN la remplaça, elle resta à la Coopérative après mon départ en 1979. 

En 1967, je crois, fut embauché aussi Claude BARBAROU. Il est resté aussi après mon départ. Ils ont donc connu la fin de la Coopérative. Mais ils ont heureusement retrouvé du travail.

J‘étais  bien content de les voir arriver, car le travail s’accumulait. Par exemple, à la moisson, il y avait des centaines de livraisons de 50/60 Qx de moyenne, et pour chaque livraison, cinq ou six multiplications à faire : le poids reçu était diminué s’il dépassait un certain taux d’humidité ; et alors, sur le poids net, il fallait calculer le prix de base, la bonification ou réfaction de poids spécifique, deux taxes, les réfactions de blé cassé, blé maigre, impuretés… ; puis taper tous ces renseignements à la machine pour en faire un relevé détaillé à l’adhérent livreur de céréales.

Au début, je faisais tous ces calculs à la main, sur une feuille, puis j’ai connu la première machine à calculer. Elle était rudimentaire : c’était un rouleau horizontal, avec dix colonnes de chiffres de 1 à 10 et une manivelle sur la droite. Si je voulais multiplier 92 x 9, j’abaissais un curseur sur 9, je décalais d’un cran, j’amenais le curseur sur 2 et je donnais neuf coups de manivelle, le résultat apparaissait. Plus tard, nous avons eu une machine électrique, puis une machine imprimante et enfin nous avons fait faire ces relevés à la Coopérative Agricole du PLESSIS-BELLEVILLE, qui avait un ordinateur. Mais quel ordinateur !… C’était un cube de 3m de long, 3m de large, 2m de hauteur environ. Il fallait entrer dans la pièce comme dans une église, sans faire de bruit, à causes d’éventuelles vibrations intempestives, sans soulever de poussière et refermer vite la porte pour garder une température constante ! La livraison d’un cultivateur, à la moisson, tenait sur une  seule feuille de 30cm de large, mais de 4 ou 5m de long. C’était pratique pour vérifier, d’autant plus qu’il fallait vraiment re-vérifier, car l’ordinateur avait droit, paraît-il, à 2% d’erreur ! Et nous qui mettions notre point d’honneur, lorsque tout était fait à la main, à ne donner les comptes que lorsque nous étions sûrs qu’ils étaient justes au centime près !

Après la moisson, les cultivateurs livraient encore des céréales tout au long de l’année, car les fermes les plus importantes étaient équipées de silos, qui leur permettaient de valoriser les céréales, car le prix augmentait tous les quinze jours. Le restant de la comptabilité (fournisseurs – clients – banques…) était tenu par décalque.

Avec les céréales, nous commercialisions aussi les farines, les engrais, les produits phytosanitaires (pour lutter contre les maladies et les insectes), les aliments composés pour le bétail. A ce sujet, petite anecdote :

Dans les années 50 apparurent les premiers aliments composés pour animaux, en granulés. Nous en fournissions à nos adhérents, par l’intermédiaire de l’U.C.A.A.B. à CHATEAU-THIERRY (Aisne) et en particulier à M.Roger PIVOT de MONTIGNY L’ALLIER, gros fabricant de fromage de Brie (c’était la région d’origine ; maintenant on fabrique des Brie dans toute la France !). Un jour, dès les premières livraisons, il est venu nous trouver, disant : « Je ne comprends pas, tous mes fromages coulent… Ca ne peut venir que des granulés ! ». Effectivement, après analyse, il s’est révélé qu’un antibiotique dans les aliments était à l’origine du coulage, la fermentation ne se faisait plus. Et voilà, il y a 50 ans, on trafiquait déjà les aliments pour le bétail !

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