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Ma grand-mère blanchisseuse.

 

A cette époque là, « avant 14 », la profession de blanchisseur était florissante (les femmes portaient beaucoup de lingerie) et certaines communes de banlieue voyaient plus spécialement se regrouper les membres de cette corporation.

Puteaux, où je suis né, était une de ces communes et l’on peut voir encore dans certains vieux quartiers, de ces maisons assez basses où, au rez-de-chaussée, s’alignent cinq ou six petites fenêtres : c’était la « salle à repasser ».

Ma grand-mère maternelle avait, dans une vieille rue, un de ces établissements.

On y entrait par un porche sombre où était remisée la voiture (à cheval bien entendu). La salle à repasser était à droite, toute bruyante, et quand on y entrait on était saisi par l’odeur des fers chauds et celle du linge repassé. Au fond il y avait un poêle dont le dessus était aménagé pour recevoir les fers qu’on y mettait chauffer et qu’un couvercle à contre-poids recouvrait. Les repasseuses, tour à tour, quittaient leur place devant la table à la couverture recouverte d’une toile blanche bien tendue où elles faisaient leur travail et elles allaient changer leur fer refroidi pour un plus chaud.

Ces repasseuses étaient comme une élite de la profession et je revois encore la principale, à droite en entrant, tout entourée de corsages aux volants compliqués si difficiles à bien repasser.

Elles travaillaient à la journée, faisant, selon le rythme de la semaine un ou plusieurs jours chez différents patrons.

Et l’ambiance était gaie. Si l’une d’elles avait une belle voix on lui demandait de pousser la romance que ses compagnes reprenaient en chœur. Comme elles étaient payées à la pièce cela ne retardait pas le travail.

Parfois aussi il y avait conversation générale et mes jeunes oreilles ont entendu souvent exprimer des désirs comme celui-ci : « Moi j’aimerais avoir un petit vieux bien propre, un petit vieux qui crache « jaune » ou qui crache « bleu » (allusion aux pièces d’or qui circulaient alors librement et à la couleur des billets de banque) »

Mais tout cela était malgré tout innocent et pas à prendre au sérieux.

Derrière, il y avait une cour où le cheval, les yeux cachés, tournait à longueur de journée, attelé à un manège. Un arbre de transmission partait du centre du manège et actionnait dans la buanderie, une « barbotte », ancêtre de nos machines à tambour, où le linge se lavait.

Pour arrêter le mouvement il suffisait que l’homme qui conduisait la barbotte criât « oh ! » le cheval s’arrêtait, l’homme changeait la cargaison de linge puis sur un « houp ! » le cheval repartait.

Il y avait encore bien des choses mais je veux me limiter.

La cadence du travail était la semaine au sommet de laquelle trônait le « jour de Paris », celui où on allait livrer le linge propre dans des beaux paquets carrés bien solides, bien montés, car ils ne devaient pas s’effondrer quand on les ouvrait chez la cliente.

Pendant les vacances scolaires il m’arrivait de participer à ce jour de Paris. C’était pour moi une grande joie.

Habillé tout beau j’étais de bonne heure le matin chez ma grand-mère. Le cheval était attelé à la voiture remplie et nous partions. Bien souvent j’étais seul avec le « garçon de semaine », sorte de maître Jacques chez ma grand-mère, ancien conducteur de chars à bancs (avec cinq chevaux) et qui me racontait des histoires de son passé.

Le cheval trottinait de son pas régulier, sa croupe se dandinait, ses oreilles allaient d’avant en arrière, les rênes soulevés retombaient sur son dos avec un petit claquement qui le réveillait au besoin.

De temps en temps on s’arrêtait, le garçon de semaine prenait un ou plusieurs paquets de linge qu’il allait livrer et revenait avec d’autres paquets beaucoup moins bien faits contenant le linge sale.

A midi nous déjeunions au restaurant et c’était pour moi une nouvelle fête. Restaurant modeste et bruyant où se rassemblaient les ouvriers qui, à l’époque, n’avaient pas de cantine d’usine.

Le soir, tard, nous rentrions. Je n’étais plus sur la banquette mais endormi sur les paquets de linge sale.

J’en ressens encore l’odeur, ce n’était pas très hygiénique mais c’est quand même un bien beau souvenir.

 

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