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Seul vers Andelaroche

Nous passons une semaine à Bobac, repos agrémenté de la fenaison ; les parents de Sahuc sont des paysans qui ont une petite ferme de quelques hectares, un cheval, deux vaches et une basse-cour. J’ai hâte de rejoindre Andelaroche. L’armistice a été signé pendant que nous marchions (22 juin) et les zones (libre et occupée) délimitées. Il me faut trouver un train, mais comme il n’y en a pas encore au Puy il faut en chercher plus au nord. Sahuc décide de m’accompagner en vélo : nous prendrons deux vélos au départ et pour le retour Sahuc ramènera les deux vélos !… Nous partons en direction d’Ambert, le pays est touristique mais la route en montagnes russes et Sahuc devra se payer tout cela au retour en tenant son guidon d’une seule main et le deuxième vélo de l’autre ! A Arlanc nous apprenons que, dans la soirée, un train sera formé à destination de St Germain des Fossés. Nous avons parcouru une cinquantaine de kilomètres. A la gare on nous dit qu’il faut obtenir un laisser-passer à la mairie. Là, nous devons patienter et apprendre ce que c’est que de faire la queue, car je ne suis pas le seul à vouloir rejoindre le nord après avoir fui vers le sud… J’obtiens enfin le « fameux papier » écrit à la main, d’une belle écriture de secrétaire de mairie de l’époque, plume « sergent-major », encre noire, entête et tampon de la mairie, que j’ai retrouvé et garde comme une relique !… Je suis émerveillé de voir qu’à la gare le portillon s’ouvre devant moi, puisque j’ai le « sésame », et que je n’ai pas à débourser un centime, puisque c’est une « réquisition ».

Du voyage jusqu’à St Germain des Fossés je n’ai aucun souvenir. A peine installé dans le compartiment je me suis écroulé de fatigue et me suis réveillé alors qu’il faisait nuit et que le train était arrêté en gare de Vichy. Était-ce avant ou après St Germain ? Je n’en ai pas la moindre notion. Renseignement pris, j’ai poussé un soupir de soulagement, je devais descendre à la prochaine.

Il est peut-être 22 heures quand nous arrivons en gare ; la salle d’attente est bondée de voyageurs. J’ai réussi à conquérir une petite place, par terre, entre deux bancs transformés en lits. Veste comme oreiller, valise à la portée de la main, je m’endors de nouveau. A 5 heures réveil, c’est un dimanche, j’apprends que le train pour Lapalisse ne partira qu’à 11 h. Je décide d’aller découvrir la ville et de chercher une église pour assister à la messe. Au premier carrefour je découvre un panneau : Lapalisse 25 km ». Bref calcul mental, 25 km divisé par 5 km heure = 5 heures de marche. Si je pars immédiatement j’arrive à Lapalisse avant que le train ne parte de St Germain. En route !… et fredonnant tout mon répertoire de chants de marche je pars d’un bon pas car pour tenir la moyenne il ne faut pas traîner. Il y a un bon Dieu pour les routards ! Au bout d’une heure de marche une voiture me double et s’arrête : » vous allez loin jeune homme ? – « A Lapalisse ! » - « montez ». Quelle veine ! Je raconte mon aventure et quand je lui dis que je rejoins ma famille à Andelaroche il me dit : « vous avez de la chance, moi, je vais au Donjon ». C’est ainsi qu’il m’a déposé à une centaine de mètres de la maison.

Quelle surprise à mon arrivée ! J’étais le seul dont on n’avait aucune nouvelle, j’étais quasiment porté disparu. Papa était à La Rochelle avec l’Arsenal. Yves et Claude Bastide étaient passés en vélo et avaient rejoint La Rochelle eux aussi, un petit périple de 1000 km en vélo, Yves nous racontera  certainement cela. Je devenais, en tant qu’aîné des garçons sur place, le responsable de la famille. Je me souviens m’être préoccupé de savoir comment maman se débrouillait pour nourrir toute la tribu. Je crois que les « andelarochois » faisaient confiance à la bonne mine… J’ai parlé de secours aux réfugiés etc… Ce sont les derniers souvenirs de mon exode. Retour de papa et Yves quelques jours plus tard. Dès que ce fut possible, les trains étant rétablis, nous avons quitté Andelaroche pour Nanterre. Je me souviens des premiers soldats allemands que nous avons vus à Moulins au passage de la « ligne ». Silence de tous les voyageurs et échange à mi-voix. Une nouvelle vie commençait, celle de l’occupation.

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