Jean
Remonter Jean Thérèse

 

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Solitude
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L'Enfant Prodigue

ÉPÎTRE D'UN ÉPHÉSIEN À SAINT PAUL

Très grand frère,

 

De passage à Éphèse en juillet 2001 je me suis souvenu que je n'avais toujours pas répondu à ta lettre postée il y a bientôt deux mille ans. Elle ne m'est parvenue qu'il n'y a qu'une cinquantaine d'années et, à ma grande honte, j'ai toujours négligé de te répondre. Je vais le faire mais auparavant je dois la relire afin d'être juste dans mes propos.

Je pense que tu apprécieras d’avoir des nouvelles de l’Église que toi et nos grands frères, Pierre, Jean et les autres ont mis tant d’ardeur à répandre dans le monde.

 

De retour en France, (tu l’appelais la Gaule), j’ai relu ton épître. Comme le monde a changé ! Qu’est devenue l’Église ? … Je ne suis pas un intellectuel, j’ai reçu simplement un enseignement technique me permettant de pratiquer un métier adapté à notre monde moderne. Ma culture ? elle m’a imprégné dans la famille dans laquelle je suis né : famille très chrétienne, dirigée par mon père, fervent dévot de Jésus-Christ et grand admirateur de ta personne, toi, Saint Paul. C’est vrai que ton tempérament enthousiaste, courageux, combatif correspondait exactement au sien.

Je lui ai obéi sans réserve. « L’obéissance est une vertu » disait-il souvent. Pour moi ce n’était pas difficile d’obéir. C’est tellement simple quand quelqu’un en qui on a toute confiance peut dire clairement ce qui est bien et ce qui est mal, ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Mais seulement voilà, quand je suis devenu adulte et que j’ai porté les armes, mon capitaine (tu dirais centurion) m’a ordonné de tuer un innocent ! Je ne l’ai pas fait parce que la Divine Providence m’a épargné en faisant immédiatement donner un contre ordre au capitaine m’enjoignant de lui envoyer le prisonnier. J’étais soulagé mais pour ma part j’ai compris que l’obéissance n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. L’obéissance n’est une vertu que dans la mesure où l’on est capable aussi bien de désobéir. Pour une personne comme toi ou comme mon père, tempéraments forts, la question ne se pose pas mais pour moi, tu n’imagines pas comme c’est dur de désobéir !  

 

J’avais 20 ans, (j’en ai maintenant 66) et à partir de cet incident j’ai dû changer mon comportement. Obéir, soit, mais comment et à qui ? Je n’avais plus de comptes à rendre à mon père (de nos jour quelqu’un qui se marie devient autonome), restaient deux autorités : l’État, qui élabore et fait appliquer les lois de mon pays et l’Église, autorité morale.

L’obéissance à l’Église avait imprégné mon éducation si profondément qu’elle était au début indiscutable. Mais petit à petit est venue la remise en question, notamment à la suite des évènements de mai 1968 où est apparue une contestation généralisée de tout ce qui était autorité ou tradition. Qui était l’Église ? Je ne pense pas t’apprendre, tu dois avoir bien d’autres sources, que l’Église du Christ s’est divisée au cours des siècles : l’Église d’Orient et l'Église d'Occident, elle-même divisée en protestants et catholiques qui se sont entretués au XVIème siècle et continuent de le faire en certains lieux aujourd’hui. Tu n’imagines pas le nombre de guerres menées au nom de Dieu ! combien d’armées ont été bénies par des prêtres, combien de massacres perpétrés au nom du Christ !

 

Je te le disais plus haut je ne suis pas un homme de grande culture mais j’ai l’impression que les difficultés ont vraiment commencé quand l’empereur romain s’est converti à la foi chrétienne. A ce moment, comme tu le dis dans ton épître (6-12) « Les souverains de ce monde de ténèbres, les esprits du mal répandus dans les airs » ont saisi l’occasion pour allier le pouvoir de l’état aux grands prêtres des églises qui n’ont pas su, au contraire de Jésus-Christ, résister à la tentation du pouvoir.

Depuis lors, ce qui s’appelait l’Eglise a œuvré pour dominer les royaumes, sacrant les « rois de droit divin », excommuniant ceux-ci, attribuant des indulgences (moyennant finance) à ceux-là.

Aujourd’hui il est bien difficile de revenir aux sources. Quel est le message essentiel de Jésus-Christ ? Des exégètes de tout poil, des théologiens, des docteurs de l’Église (des Églises) font la part belle aux écritures … mais les interprétations diffèrent, elles sont souvent contradictoires. Selon qu’on est né en Orient ou en Occident, dans un pays catholique ou protestant on est affublé d’un bagage de certitudes dans lequel il faut bien faire un tri quand on atteint un âge ou la sagesse conduit à la réflexion. Certes, nombreux sont ceux qui préfèrent ne pas ouvrir le paquet et conserver intactes toutes les croyances. Ils continuent de suivre le chemin qui a toujours été suivi. Des ornières profondes se sont créées et au lieu de les combler ils considèrent celles-ci comme des rails qu’ils aménagent et renforcent. (Voir les poèmes « la quête de l’horizon 2000-2 » et « Solitude 1999-2 »)

Pour ma part, peu après 1968, j’ai fouillé dans mon sac pour voir en quoi je croyais vraiment. Je n’ai voulu garder que l’essentiel pour marcher léger. Je suis parti explorer le monde spirituel qui m’entourait. Ça fait drôle de se retrouver avec un sac presque vide et surtout de ne plus avoir une autorité, un guide qui dise : « par ici », « par là », « ce chemin, pas celui-là ». Mon guide c’était l’Esprit, celui que nous a envoyé le Christ le jour de la Pentecôte. Car pour moi l’Esprit n’est pas venu une fois pour toutes il y a 2000 ans, il est toujours présent et actif, seulement maintenant je dois être plus attentif.

Ce qui m’a le plus surpris quand j’ai fait le tri dans mon bagage c’est de constater qu’il restait quelque chose. Ce quelque chose je l’appelle la foi. La foi c’est ce qui reste quand on s’est débarrassé des croyances.

Après quelques années d’errance je me suis rendu compte que j’avais fait le parcours de l’Enfant Prodigue. J’avais quitté une maison familiale dirigée par un père de famille et je revenais après de nombreuses années dans une famille beaucoup plus vaste et je découvrais le PÈRE. Je ne peux pas le traduire par des mots. Je ne suis pas écrivain et de toute façon, si j’avais le don de l’écriture il me faudrait tant de volumes pour exprimer ce que j’ai compris que ce serait une tâche tout à fait impossible. Je me suis limité à l’écriture de quelques poèmes ou récits qui exprimaient mon émotion à tel ou tel moment.[i]

 

Depuis ce temps je ne trouve plus ma place dans mon Église d’origine, l’assemblée de ceux qui se sont donné pour chef un pape, prétendument authentique successeur de Pierre, ton frère, qui après la crucifixion de Jésus, sa résurrection et son ascension s’était installé à Rome je crois comme chef de la chrétienté. Ses nombreux successeurs ont mis en place une structure bien organisée, la hiérarchie des évêques, des prêtres, des fidèles. Des dogmes ont été proclamés, des sacrements institués, des commandements de l’Église édités. Il n’y avait plus qu’à respecter la loi. Mais, pour peu que je sache, Jésus s’était élevé en son  temps - en ton temps – contre la loi qui limite, oblige mais fait souvent perdre de vue le véritable esprit d’amour, de service des autres.

Ainsi, par exemple, en souvenir de la cène, l’Église a institué le sacrement d’eucharistie, consécration du pain et du vin qui deviennent le corps et le sang de Jésus-Christ. Je respecte ce sacrement car nombre de chrétiens ont donné leur vie en son nom. Mais ce même soir du dernier repas Jésus-Christ avait lavé les pieds de ses apôtres pour montrer aussi qui était le plus grand : celui qui servait humblement les autres. Ce geste n’a pas été retenu comme sacrement. Pourtant cela aurait pu constituer un excellent remède contre le désir de pouvoir et c’est, à mon sens ce qui manque le plus dans le monde d’aujourd’hui, que chacun se mette humblement au service des autres.

Dieu merci, beaucoup de chrétiens ont cette conception et font un travail merveilleux au service des plus pauvres, ils font des choses que je suis incapable de faire, traversent les océans, les continents pour soigner les Africains, les Asiatiques, les Latinos-Américains mais ils ne sont pas seuls à faire cela, il y a des ONG (organisations non gouvernementales)  qui sont de toutes obédiences. Certains se disent athées ou agnostiques. Beaucoup sont d’anciens chrétiens qui n’ont pas supporté la rigidité des lois de l’Église et ont rejeté certains dogmes comme l’infaillibilité du pape, la virginité de Marie, l’indissolubilité du mariage ; certaines lois comme le célibat des prêtres ou le sacerdoce interdit aux femmes. Ceux-là sont partis, ils ne se disent plus catholiques mais ils aiment leur prochain qu’ils vont souvent trouver à l’autre bout de la terre (la terre est devenue si petite de nos jours, tu n’en croirais pas tes yeux : une journée suffit pour se rendre aux antipodes et on peut communiquer par l’image et le son, instantanément, avec n’importe quel point de la terre).

 

Pour moi l'Église c’est l’assemblée des fidèles, fidèles à l’enseignement de Jésus-Christ et à l’exemple qu’il nous a donné en lavant les pieds de ses disciples qui l’appelaient « Maître ».

 

Alors tu vois, très grand frère, mon désarroi. Je me sens faire partie de cette grande Eglise du Christ mais elle n’a plus de forme, plus de visage, plus de limites précises. Il y a des croyants non pratiquants mais aussi des pratiquants non croyants, des hommes et des femmes de foi et d’amour, des justes, des humbles … qui les rassemblera ? Ont-ils besoin de se rassembler et de se proclamer « l’Église » au risque de faire naître simplement une nouvelle église qui ferait la fortune du « Souverain de ce monde de ténèbres » qui se plaît tant à diviser.

 

J’ai la chance, grâce au ciel, d’habiter un petit hameau de Bourgogne. J’ai pu m’y construire un ermitage, un lieu simple et beau en pleine nature où je peux trouver la sérénité propice à la méditation et à la prière. J’y viens chaque matin pour me ressourcer et aussi m’unir à tous les vivants à la surface de la terre qui cherchent à vivre dans la justice, l’amour, la paix. J’adresse au ciel une prière qui est presque toujours la même mais qui évolue d’année en année, comme moi je me transforme dans ce monde en mutation.

Aujourd’hui ma prière est à peu près celle-ci :

 

Seigneur je te remercie de cette journée qui commence, de la beauté de ce lieu que tu m’as confié, de la beauté de la terre que tu as confiée aux hommes.

Mets-moi à ma juste place, tel que je dois être.

Mets-moi dans la conscience de la vie qui m’anime comme elle anime tout ce qui m’entoure.

Mets-moi dans la conscience de la Vie qui est Amour, qui est Paix et qui est Joie. Tu me l’as montré dans de fugaces instants de grâce. Comment puis-je garder ma conscience en éveil dans ce monde tentateur ; je demande ton aide.

 

J’avais commencé cette lettre à Éphèse, juste après avoir visité la maison de Marie, mère de Jésus. Je la termine aujourd’hui dans la grotte où Marie-Madeleine, grande amoureuse de Jésus-Christ, est venue terminer sa vie terrestre.

Très grand frère Paul je ne sais rien de ce qu’est l’après vie terrestre. Je suis certes dans le désarroi mais je suis sûr que la Vie qui m’anime est éternelle ; le désarroi n’est pas le doute et je pense que le Seigneur saura l’utiliser pour que je puisse servir.

 

Mes salutations à toi et gloire soit rendue à l’Éternel.

 

La Sainte Baume

le 23 novembre 2002