Andelaroche le 5 juillet 1940 Mon grand chéri Vendredi 15 h 30 - Je consacre quelques minutes pour poser mes impressions sur cette feuille. Je me demande si tu reçois mes lettres puisque voilà deux jours que nous ne recevons pas de courrier, mais rien que le journal. Aujourd'hui j'ai eu une grande vague de tristesse quand j'ai vu Geneviève remonter du bourg avec juste "La Croix" du 28. Comme consolation je n'avais à lire que les conditions de l'armistice; c'est te dire si c'était fait pour cela. Combien de temps allons nous recommencer à être sans nouvelles ? Sur un journal que nous avons acheté ce matin, puisqu'ils reparaissent depuis que le facteur repasse, j'ai vu que l'on donnait des allocations pour les réfugiés sans ressources, sauf pour les employés de l'état, je vais risquer ma chance et demander à M.Goutaudier si je ne peux toucher quelque chose. J'ai bien demandé crédit au boulanger hier, mais c'est bien gênant tout de même de vivre comme cela. Je finirai par vendre mes bagues, mais ça n'ira pas loin. Je m'arrête pour aujourd'hui, heureusement qu'il fait beau car malgré cela j'ai le noir. Que serait-ce s'il pleuvait ? Samedi 16 h. - Encore une journée sans correspondance pour nous. Enfin il y a eu tout de même du courrier puisque Geneviève que j'avais envoyée à Andelaroche au devant du facteur a rapporté pour Denise une carte de Serge datée du 17 il était à Gannat et s'en allait. Aujourd'hui il n'y a pas de journaux. Je vois un peu moins les choses en noir qu'hier car j'espère tellement voir déboucher quelqu'un de chez nous parmi toutes ces autos de réfugiés qui remontent . Tu ne te rends peut-être pas compte comme nous de la chose d'être sans nouvelles de vous. Les hommes ou tous ceux qui travaillent passent peu de temps parmi leur famille, on pourrait presque dire que leur famille c'est leur entourage du bureau ou de l'atelier, alors vous n'êtes pas seuls, vous vous êtes tous retrouvés. Il n'y a que le soir. Eh! Bien le soir ça passe vite, les jours sont beaux vous pouvez vous promener. Ce matin nous avons entendu dans le lointain des trains, peut-être verrons-nous arriver Denys. Pauvre petit, où est-il ? et ne rien pouvoir faire pour savoir. Attendre, toujours attendre. Peut-être demain nous apportera-t-il du nouveau ? Dimanche 7 juillet : Cette fois le voici le nouveau. Denys nous est arrivé ! Nous venions de rentrer de la messe de 7 h ½ quand il nous est arrivé. Depuis Tours jusqu'au Puy de Dôme il a été à pied avec plusieurs camarades. Il s'est retapé huit jours chez un camarade puis je ne sais pas bien, il a du faire une centaine de km à vélo puis hier a pris un train jusqu'à St Germain puis au lieu d'attendre la communication jusqu'à 10 h il est venu à pied; ce ne sont pas 25 km qui pouvaient lui faire peur. Maintenant il ne me reste plus qu'à savoir ce que sont devenus Yves et sa suite. J'ai été trouver ce matin M.Goutaudier qui ne sait pas si nous avons droit à l'allocation, il devait demander, puis il nous a dit d'écrire une lettre qu'il remettrait à la s/préfecture expliquant notre cas. Je termine, nous allons nous mettre à table, nous aurons encore aujourd'hui un peu plus à manger que ce que Denys a mangé un dimanche, un morceau de pain. Bons baisers, Claire Denys |