Andelaroche mardi 9 juillet 1940
Cher Eugène,
Il est bien tard mais je tiens à t'écrire ce soir car le matin c'est toujours trop précipité comme temps. Hier je ne t'ai pas écrit, un peu découragée de ne pas recevoir de lettre bien suivie et croyais que tu n'étais plus à la Rochelle, mais puisque tu y es encore je t'écris. D'abord j'ai enfin reçu ton mandat, te dire mes angoisses de me voir comme cela, je ne puis dire sans un sous puisque j'avais encore 13 fr. + un sou écrasé que m'avait donné Denys . Ce sou il l'avait fait écraser par une locomotive. Enfin c'est encore un cauchemar de parti. Puis savoir qu'Yves est avec toi me rassure complètement. Maintenant quant à savoir quand on se reverra ? Nous avons vécu des jours bien durs depuis le départ d'Yves. Du reste il a dû te dire que je serrais déjà pas mal la ceinture n'ayant déjà plus que 400 fr. A ce moment et prévoyant ce qui devait arriver. Enfin quand j'ai vu qu'il ne me restait plus que 100 fr. J'ai demandé crédit à Madame Goutaudier lui expliquant le cas qu'elle a très bien compris. Mais par malheur les personnes qui me fournissaient du lait en ne le payant qu'au mois en ont manqué. Je n'ai pas osé en demander autre part sans payer et on était réduit à en acheter 1 litre par jour avec celui de la chèvre, j'en avais à peine trois. Nous prenions nos déjeuners presque à l'eau, je faisais du malt. Le plus dur c'était après avoir retourné ce terrain si dur de ne pas avoir de quoi se rassasier. Mais passons, c'est du passé puisque ce soir on a vite cherché à avoir du lait, à partir de demain nous en aurons six litres et ce soir nous avons mangé deux oeufs. J'ai oublié de te dire que samedi il est passé trois réfugiés du Creusot qui retournaient, ils nous ont demandé l'asile pour la nuit, nous leur avons donné la grange et comme ils nous demandaient de la soupe, je leur ai dit ma détresse, ils m'ont convaincue de demander l'allocation. Je l'ai fait dimanche. Monsieur Goutaudier sachant que tu travaillais m'a dit qu'on ne me la donnerait probablement pas, enfin il m'a dit de lui faire une lettre expliquant le cas, ce que j'ai fait en demandant au moins un secours pour me faire attendre jusqu'à ta paie. Je t'assure que si on m'accorde quelque chose je ne le refuserai pas, on a trop souffert... ...Je ne suis pas pressée de rentrer en pays occupé. Nous avons du reste bien travaillé le jardin et il est prospère, même sans ta paie une autre fois nous serons moins malheureux. Il y aura de la salade des haricots, des pois, des choux, des poireaux... Je m'arrête, je vais me coucher, je t'embrasse sous oublier Yves. Nos garçons auront parcouru la France...!
Claire |