Yves
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MES SOUVENIRS DE LA GUERRE 1939-1945

Yves

La « ligne Chartier » l’avaient appelée les ouvriers

L’arsenal décide le « repli » à La Rochelle

Le soir même avec nous partons à bicyclette en direction d’Andelaroche

Le maréchal Pétain demandait l’armistice nous faisons demi-tour

Armé d’un marteau, je redressais ma jante

On se voyait mal bercés par le braillement des gorets

« Bon sang ! c’est dimanche… on a manqué la messe »

Après avoir fait quelques petits boulots…

Le « rutabaga » que maman s’ingéniait à assaisonner

Le fiancé logea dans une autre maison du village

J’ai aperçu « l’autre demoiselle Triboulet »

Les jeunes de la classe 1942 feront le S.T.O.

1°) De Septembre 1939 à Juin 1943

Les Jocistes devaient partir en pèlerinage à Rome le 2 septembre 1939. Étant inscrit à ce pèlerinage je devais prendre une permission « sans solde ». Ma paye ayant un poids non négligeable dans le budget familial, papa avait décidé que cette année je ne prendrais, comme lui, que 3 semaines de vacances. Nous avons donc quitté Andelaroche vers le 20 Août.

Depuis plusieurs mois des bruits de guerre circulaient, renforcés par les conquêtes de l’Allemagne hitlérienne :

Mars 1938 occupation de l’Autriche (anschluss)

29-30 septembre 1938 accords de Munich et occupation d’une partie de la Tchécoslovaquie.

Mars 1939 occupation de la totalité de la Tchécoslovaquie.

23 Août 1939 accords Ribbentrop-Molotov par lesquels l’U.R.S.S. qui négociait un traité d’alliance avec la Grande-Bretagne et la France, signe un pacte de non agression avec l’Allemagne.

Mobilisation générale

Les mains libres à l’Est, l’Allemagne entre en Pologne le 1er Septembre. Il s’ensuit la mobilisation générale le 2 Septembre et la déclaration de guerre le 3. Dans les jours précédents, avec papa, nous avions participé à un rassemblement de prière du diocèse de Paris, au Sacré-cœur, sous la présidence du cardinal Verdier. En sortant, dans la foule nous avons rencontré l’oncle Robert ainsi que son fils Roger et peut-être sa fille Marie. L’occasion d’échanger sur les évènements autour d’un pot. C’est sans doute la dernière fois que j’ai vu ce grand-oncle. En raison de la guerre nos parents décident que maman et les enfants, à partir de Geneviève, resteront à Andelaroche où les risques de bombardements sont faibles, Denys retournera à Nantes Pont-Rousseau, tandis que Blandine et Agnès tiendront à tour de rôle la fonction de maîtresse de maison à Nanterre.

La France en guerre s’organise :

Création de la défense passive, recensement des caves pouvant servir d’abri, réalisation de tranchées où il n’y a pas d’abri, camouflage des portes et fenêtres, désignation de chefs d’îlots etc. création d’un service de ravitaillement et distribution de cartes de ravitaillement qui furent dénommées par le public : « cartes de sucre » car ce fut la première denrée rationnée. Réapparition des masques à gaz distribués quelques mois avant. Il y en avait de deux modèles : l’un avec la cartouche filtrante dans une capsule métallique fixée directement sur le masque, destiné aux civils, ressemblait à un groin de porc, il était rangé dans une boite cylindrique en tôle, munie d’une bandoulière, de la dimension adéquate pour transporter un « litron de rouge ». L’autre modèle destiné aux militaires, avait le masque relié par un tube souple à la cartouche placée dans une musette ; travaillant à l’arsenal j’avais « droit » à ce modèle que je portais fièrement.

En cas d’alerte on descend au sous-sol

Notre vie fut également organisée en fonction de l’état de guerre. Papa, toujours pragmatique, analysa le problème du bombardement de la façon suivante : si une bombe tombe sur la maison que l’on soit dans la cave ou dans une tranchée dans le jardin, on est foutu… par contre si elle tombe à côté, la dalle de béton est capable de supporter l’écroulement de la maison. Conclusion : en cas d’alerte on descend au sous-sol, et papa propose à quelques voisins de venir nous rejoindre s’ils le souhaitent.

La « ligne Chartier » comme l’avaient appelée les ouvriers

A l’arsenal le colonel Chartier, directeur, fit creuser des tranchées le long de la Seine. Se souvenant de la précédente guerre il les fit réaliser en chicanes, moitié creusée dans le trottoir, moitié en remblai sur le chemin de halage avec des sacs de sable pour consolider les remblais. Les travaux n’étaient pas terminés que la partie exécutée dans le trottoir s’écroulait sous les vibrations provoquées par les camions… et avec l’automne, la crue de la Seine inonda l’ensemble emportant les sacs de sable. C’en était terminé de la « ligne Chartier » comme l’avaient appelée les ouvriers[1]. La direction s’aperçut alors que les différents bâtiments étaient reliés par des sous-terrains pouvant servir d’abris.

affecté dans les ateliers comme ouvrier professionnel

Du fait de la guerre ma situation changea. Une dépêche ministérielle décida que les apprentis ayant terminé leur troisième année seraient affectés dans les ateliers comme ouvriers professionnels. C’était mon cas, bien que diminuée de 10 % parce qu’âgé de moins de 18 ans, ma paye se trouvait doublée. Bonne aubaine pour le budget familial. Au printemps 1940 je fus muté dans un atelier manquant de main d’œuvre qualifiée et travaillant  en deux équipes, alternativement de jour et de nuit. Je refusais de « faire la nuit » car je n’avais « pas 18 ans ». De ce fait je changeais périodiquement d’équipe… et de maîtrise, alors je récoltais des petits boulots que les chefs ne savaient à qui confier, il m’est arrivé d’être sans travail, ce qui ne me dispensait pas d’être présent 10 heures par jour samedis et dimanches compris (lors des changement d’équipes il était indispensable de chômer un jour, le dimanche était choisi).

Vers le mois d’avril maman revint à Nanterre pour la naissance de Pierre qui eut lieu le 6 Mai. Toute la famille était-elle réunie à cette occasion ? Sans doute la mémoire de mes sœurs est-elle plus fidèle que la mienne sur ce point.

le 10 Mai entrée des troupes allemandes en Belgique

Début avril l’Allemagne, entreprend son offensive vers l’Ouest. D’abord occupation du Danemark puis offensive en Norvège et, le 10 Mai entrée des troupes allemandes en Belgique et aux Pays-Bas. Ces deux nations rapidement occupées, les divisions blindées allemandes font une rapide percée jusqu'à la mer enfermant les troupes anglaises engagées ainsi que les meilleures divisions françaises dans la poche de Dunkerque[2].

Dès que maman fut en état de voyager, elle retourna à Andelaroche avec tous ceux qui se trouvaient à Nanterre, sauf Blandine.

Après la réduction de la poche de Dunkerque (certains éléments purent regagner l’Angleterre, les autres furent massacrés, noyés ou faits prisonniers) les allemands commencèrent l’invasion de la France, ce fut la débâcle. Ce doit être à cette époque qu’un bombardement eut lieu sur la région parisienne, une bombe est tombée à proximité d’une tranchée abritant des enfants de l’école Jules Ferry (rue de Saint-Cloud). Plusieurs filles du quartier furent tuées , étouffées par l’écroulement de la tranchée.

l’arsenal décide le « repli » à La Rochelle

Le 10 Juin, le directeur de l’arsenal décide le « repli » de l’établissement à La Rochelle. Ce même jour l’Italie déclare la guerre à la France, profitant ainsi de la « curée ».

Blandine est partie dans la journée. Papa doit partir le lendemain matin comme chef de voiture d’un camion, conduit par un ouvrier requis pour cette mission, transportant un prototype de canon et des plans.

 Le soir même avec Marc et Serge nous partons à bicyclette en direction d’Andelaroche

Il est environ 22 heures. Mes cousins ayant des vélos de « course » n’ont pas d’éclairage, afin de ne pas nous séparer nous roulons en file indienne, je ferme la marche, si l’un d’eux s’arrête je m’en rendrai compte, si je suis en panne ils ne verront plus ma lumière. Était-ce une bonne idée ?… Au petit matin nous n’étions guère plus loin que Fontainebleau. Dans l’après-midi de ce même jour, Serge et moi avons dormi tout en roulant, une bonne sieste dans un pré nous a permis de repartir plus en sécurité. Le soir nous avons trouvé asile dans un hôtel à La Charité. Le lendemain il a plu, « un vélo de course » n’ayant pas de garde-boue mes cousins ont déclaré forfait. Par chance nous avons trouvé place dans le fourgon d’un train qui nous a menés jusqu’à Saint Germain des Fossés ou Lapalisse et sommes arrivés à Andelaroche ce 12 Juin.

le maréchal Pétain demandait l’armistice nous faisons demi-tour

Quelques jours plus tard nous repartons pour La Rochelle, après une trentaine de kilomètres, apprenant que le maréchal Pétain demandait l’armistice nous faisons demi-tour, inutile de rejoindre notre poste puisque la guerre est finie.

De retour à la maison un camarade d’apprentissage qui se trouve dans la région me dit que l’arsenal de Roanne se chargerait de nous évacuer. Après une nuit dans notre maison de « vacances » nous reprenons la route pour Roanne. Là, c’est la grande pagaille, on ne peut s’occuper de nous, toutefois une âme charitable a pitié de nous et arrache de son guide Michelin, pour nous les donner, les pages où figure la carte de France. C’est avec cela que nous avons défini notre route jusqu’à La Rochelle. Le moral est assez bas, après quelques dizaines de kilomètres nous attaquons les contreforts du Massif Central, le moral est tombé à zéro ! Quand un convoi militaire nous permet de monter dans un camion bâché, nos vélos accrochés au hayon arrière. Si ce n’est pas plus rapide, c’est quand même moins fatigant que de pédaler.

Après avoir traversé Thiers embouteillé, le convoi s’arrête pour la nuit. Un gradé passe en criant : « tout le monde hors des véhicules » nous n’avons pas bronché, puis plus tard nous entendons : « il n’y a plus personne dans les camions ? non, non ». Nous ne bougeons toujours pas, puis nous nous organisons pour la nuit. Sous la seule bâche il fait froid et nous dormons mal. Je ne me souviens pas si nous avons encore fait un bout de chemin dans ce convoi ou si nous sommes partis avant les militaires. Cela ne nous avait pas avancé mais le moral était revenu.

 Armé d’un marteau, je redressais ma jante

Petit à petit nous avalions les kilomètres sur des petites routes sinueuses, sous les arbres, avec une succession de montées et de descentes. J’ai apprécié le Massif Central que je découvrais : à une descente dans une vallée succédait une montée de laquelle on ne pouvait voir la route, pourtant très proche, que l’on venait d’emprunter, cachée qu’elle était par la verdure. Le soir on couchait dans des fermes où nous étions gentiment  accueillis, nous recommandant seulement de ne pas fumer à l’intérieur des granges mises à notre disposition. Evidemment il y avait les côtes, si nous avions l’opportunité de trouver un camion on s’y accrochait puis dans la descente suivante on s’efforçait de le suivre afin de profiter de l’aubaine pour la montée suivante. C’est ainsi que, alors que nous suivions d’assez près un camion… il y avait un pavé au milieu de la chaussée, j’y ai eu droit, heureusement.. je ne sais si les jantes en bois de mes compagnons auraient résisté. Ma roue avant avait un gros gnon, le pneu déjanté, la chambre déchirée sur 10 cm. Armé d’un marteau que j’avais emporté[3], sur le pavé « providentiel » trouvé sur la route, je redressais tant bien que mal ma jante, après réparation, elle passait entre les branches de la fourche ! La chambre fut réparée avec deux morceaux de bande « rustine » collés bord à bord ; ce n’était pas absolument étanche, avec un coup de pompe de temps à autre on est reparti.

Nous essayions de nous tenir au courant des évènements, je voulais arriver à La Rochelle avant les Allemands. La dernière journée de route nous avons couvert entre 220 et 240 km.

on se voyait mal bercés par le braillement des gorets.

Le soir arrêt dans un petit hameau, une ferme à droite, à gauche un bâtiment d’où sortaient des cris de porcs. « Serge c’est à toi d’aller demander asile pour la nuit » Il n’a pas compris que l’on avait choisi la ferme et s’est dirigé vers la porcherie. « Pourvu qu’on lui refuse », on se voyait mal bercés par le braillement des gorets. Dès qu’il est réapparu il nous fait signe de le rejoindre : « c’est foutu » tant pis ! nous rejoignons Serge. Tiens les porcs ne crient plus !..

Nous sommes accueillis par deux hommes, l’un, le propriétaire de la porcherie vient d’apporter la pitance à ses bêtes, d’où leur calme, il nous indique l’endroit où nous installer, le second nous emmène dans la laiterie voisine où nous pouvons faire une toilette à l’eau chaude, il nous donne une demi-livre de beurre « pour améliorer l’ordinaire » et nous souhaitant bonne nuit, il nous invite à prendre le petit déjeuner avec lui le lendemain. Après une bonne nuit, malgré les griffures de la paille sur les coups de soleil, nous prenons un petit déjeuner mémorable : pâté, jambon frit, vins blanc et rouge, café et gnole. Il nous restait 50 km pour atteindre La Rochelle, je ne les ai pas vus passer.

Je ne me souviens pas comment nous avons retrouvé papa d’une part, ce qui restait de l’établissement d’autre part. D’ailleurs la majorité de la direction a disparu. Seul un ingénieur (commandant) est resté et grâce à sa connaissance de l’allemand a évité au personnel d’être considéré comme militaire et fait prisonnier. Avec papa nous logions chez des retraités entre La Rochelle et La Pallice Pour toute obligation, je devais me rendre chaque jour dans une école pour signer une feuille de présence. Il faisait beau, au bord de la mer, j’y ai passé un agréable mois de vacances.

« bon sang ! c’est dimanche… on a manqué la messe ».

Retour à Paris, par train spécial A.P.x. (3ème classe), où nous arrivons le lendemain vers midi. Après un rapide passage chez la cousine Geneviève, qui a pris pépère François sous sa protection, départ pour Andelaroche via la gare de Lyon. C’est là que papa profère un « bon sang ! c’est dimanche, j’avais oublié, on a manqué la messe ». Voyage sans histoire, les trains circulent à peu près normalement et il n’y a pas de contrôle au passage de la ligne de démarcation. La famille est au complet. Papa et moi devons repartir, nous apprenons qu’il faut un « ausweiss » un contrôle strict, étant maintenant effectué à Moulins, par les allemands. Des démarches effectuées à la sous préfecture s’avèrent négatives. Papa décide de s’adresser au ministère dont dépend l’arsenal. La réponse est : « l’intéressé s’étant rendu de sa propre initiative en zone non occupée, il lui est accordé, à titre tout à fait exceptionnel, un congé sans solde ». C’est la consternation… Peu après, création, qui n’a pas trop tardée, de laisser-passer pour réfugiés. Dès l’arrivée des formulaires (au moins 3 exemplaires recto-verso, format A3 par personne, même pour Pierre) nous faisons le nécessaire et quitterons définitivement Andelaroche vers la mi-Août.

après avoir fait quelques petits boulots…

A nouveau réunis à Nanterre, la vie reprend tout doucement. Je ne me souviens pas où se trouve notre employeur, les bâtiments de l’arsenal étant en partie occupés. Papa qui est fonctionnaire touche intégralement son traitement et reprend ses cours à l’école d’apprentissage. Etant ouvrier d’Etat, je ne peux être licencié, après avoir fait quelques petits boulots, par connaissance, Papa me trouvera tour à tour plusieurs emplois. Je ferais successivement des lampes de poche dans un appartement au 3ème étage près de la place de la République. Puis de fin novembre 1940 à octobre 1941 je serai ouvrier spécialisé chez « JAZ » (les réveils). Je quitte cette entreprise, où je faisais les « deux huit », (dur, dur de se lever pour commencer à 6 h. du matin en hiver avec deux heures d’avance sur le soleil… à 18 ans), en octobre 1941, pour l’imprimerie OLLER à Puteaux, où après une mise au courant de quelques semaines je suis régleur sur rotatives imprimant les cartes de pain.

Au mois de mai 1942 j’entrais aux charrues BAJAC à Liancourt, Mr Olivier, directeur, ayant fait miroiter que je serais chef d’équipe. L’atelier, un immense hangar couvert en tôles ondulées, avait le sol en terre battue recouvert d’un mélange de poussière de rouille et de poussier provenant des forges. En arrivant le matin il y faisait moins de 10° et l’après midi la température frisait les 30°. Considérant que je n’avais aucun avenir je quittais mi-août pour entrer début septembre à la Station d’Essais de Machines Outils (SEMO) située près de la gare de Courbevoie. Je restais dans cet établissement faisant partie des usines mécaniques de l’Etat, jusqu’à mon départ pour le S.T.O. en juin 1943.

le « rutabaga » que maman et Agnès s’ingéniaient pour assaisonner

Durant cette période de près de trois ans nous étions tous à Nanterre (sauf Denys pensionnaire à Nantes), les restrictions devenaient de plus en plus sévères d’année en année. Chaque soir Agnès pesait la ration de pain de chacun. Un seul légume se trouvait sans trop de difficulté durant toute l’année : le « rutabaga » que maman et Agnès s’ingéniaient pour l’assaisonner avec ce que l’on trouvait, c’est à dire pratiquement rien, par exemple « rutabaga farci avec une préparation à base de… rutabaga. Sur les marchés, alors qu’avant la guerre les commerçants arrivaient à 6 h. pour s’installer, durant l’occupation, n’ayant pas grand chose à vendre ils arrivaient vers 9 h. Il m’est arrivé de faire la « queue » à partir de 6 h. devant un étal vide pour apprendre vers 9 h. que le commerçant ne viendrait pas, c’était en plein hiver.

le fiancé logea dans une autre maison du village.

La vie continuait cependant. Fin 1940 un jeune homme de la paroisse, Pierre Berté, a demandé à papa de lui donner des cours de dessin pour préparer un concours qu’il souhaita présenter, il venait chaque semaine, avec papa ils s’installaient dans le bureau. Blandine leur portait le café. Les fiançailles eurent lieu au mois de février suivant. A Pâques 1941 nous avons passé quelques jours à Yvors, mémé étant encore en zone libre, le fiancé est venu mais il n’était pas pensable qu’il couche sous le même toit que sa promise, il logea dans une autre maison du village.

j’ai aperçu « l’autre demoiselle Triboulet »

Tonton Yves nous a également rejoints, il a proposé de payer un lapin et dans ce but nous a emmenés, papa et moi, à bicyclette, dans une ferme de Bargny où, étant séminariste, il avait accompagné le curé d’Yvors. Une jeune fille nous a reçus et conduits dans un bâtiment face à la maison où de nombreux lapins occupaient une pièce qui m’a paru immense, elle choisit une bête lui semblant de bonne taille et l’attrapa avec une facilité déconcertante. Peu après, nous rendant à la « Tournelle », ferme où nous allions chercher le lait lors de nos vacances à Yvors, avant la guerre, papa raconta cette anecdote à la fille de la maison, Anne-Marie Dumont. Celle-ci demanda : « la jeune fille était blonde ou brune » à la réponse de papa elle dit « c’était Madeleine ». Cela a fait « tilt » tiens il y en a une autre. J’ai dû avoir des congés en 1941, l’usine où je travaillais, étant fermée pour les congés payés. Comme c’était peu de temps après le mariage de Blandine les finances n’ont sans doute pas permis de quitter Nanterre. Le ravitaillement ne s’améliorant pas, papa allait toutes les deux semaines rayonner autour d’Yvors mais jamais dans ce village. Un de ses beaux-frères dira plus tard : « Eugène profite de notre « notoriété » pour se ravitailler à Yvors ». Papa a pu lui « clouer le bec ».

Une fois où il avait eu peu de ravitaillement chez Ferté et à la « Tournelle » il est retourné pour la première fois à Bargny où il a été reçu par Mme Triboulet, il s’en est suivi nos vacances de 1942.

Je passerai au « Château » les deux semaines de liberté entre mes emplois chez BAJAC et à la SEMO. Le premier dimanche j’ai aperçu « l’autre demoiselle Triboulet » pour la première fois ; le jour même elle partait en vacances. Rentré à Nanterre j’ai « fêté » mes vingt ans, seul, devant mon maigre repas du soir, à cette époque la rentrée des classes ayant lieu début octobre, la famille était encore à Bargny.

les jeunes de la classe 1942 feront le S.T.O.

Mon travail à la SEMO me plaisait, j’étais employé dans le laboratoire de chimie physique et essais mécaniques, je participais également à l’installation du labo. Etant près de la gare je pouvais déjeuner à la maison.

Les allemands demandant de plus en plus de travailleurs, toutes les entreprises devaient fournir un contingent proportionnel à leur importance. La SEMO, entreprise d’Etat, respecta la réglementation française, seuls des ouvriers majeurs furent désignés. Début 1943 l’Etat français décréta que les jeunes des classes 1940, 41, 42 seraient astreints au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.). Je reçus un ordre de réquisition comme manœuvre à la SNECMA. J’en avisais le chef du personnel de la SEMO qui s’apercevant « que ça n’émanait pas des Allemands » allait faire le nécessaire pour que je sois affecté sur place. En Avril ou mai, nouveau décret : « tous les jeunes de la classe 1942 feront le S.T.O. en Allemagne ». Je reçus une carte du S.T.O. : « affectation Allemagne », puis une convocation pour le service de recrutement allemand. Le chef du personnel n’a pas levé le petit doigt. Départ fixé au 26 juin à la gare de l’Est. J’ai eu droit à une paire de chaussures à semelle de bois. J’arrêtais de travailler vers le 15 juin. Avant mon départ, un jour où papa n’était pas disponible je l’ai remplacé pour la tournée du ravitaillement. A Bargny c’est Suzy qui m’a reçu, notre première rencontre, sur le perron, et dit qu’elle regrettait de ne rien pouvoir me donner. Je ne sais même pas si nous nous sommes serrés la main.

 


[1] Un chef de service ayant rendu compte de l’incapacité de ce directeur, il fut nommé à sa place.

[2] La ligne Maginot n’a pas été construite le long de la frontière Belge cela eut été un acte hostile envers cette nation amie.

[3] Papa disait : « Le marteau, le jeu et l’huile c’est l’âme de la mécanique », j’avais dû m’en souvenir en préparant mon départ.